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Ryû Murakami ou le pays du soleil voilé

La littérature n'a que faire des questions de moralité, dit Ryû Murakami, écrivain japonais aux textes et sujets frappants, voire dérangeants.

De son vrai nom Ryûnosuke Murakami, l'auteur (à ne surtout pas confondre avec Haruki Murakami, qui a un monde différent) est né en 1952 à Sasebo dans la préfecture de Nagasaki. La présence d'une base navale américaine à proximité, suite à la défaite japonaise lors de la deuxième guerre mondiale, a influencé son enfance et son adolescence.

En 1969, alors en 3ème année de lycée, il est exclu pour avoir érigé des barricades avec des camarades sur le toit de son lycée afin de protester contre la présence de l'armée américaine sur le territoire japonais. Pendant ses trois mois d'assignation à résidence, il découvrire la culture hippie qui le marquera fortement.

En 1972, il intègre une université d'art à Tokyo. En 1976, alors qu'il est encore étudiant, il publie Bleu presque transparent qui reçoit le prix Gunzô des jeunes talents ainsi que le prestigieux prix Akutagawa. Il est propulsé d'un coup sur le devant de la scène. Il écrit encore plusieurs romans, tous aussi pessimistes (avec deux exceptions 1969 et Kyoko) et, en 1998, il obtient le prix Yomiuri shimbun pour Miso Soup. En 2000, il reçoit également le prix Tanizaki, autre prix prestigieux, pour Parasites.

Point là de poésie, juste la réalité crue

Bien, bien, bien... Comment décrire son œuvre ? Trash ? Pessimiste ? Décadente ? Sexe, Drogue et rock and roll ? Sombre ? J'hésite. Mais en fait, point de tergiversation possible : c'est tout ça en même temps. Les descriptions sont glauques, malsaines et nous montrent des images du Japon qu'un bon vieux rêveur adorateur de ce pays n'oserait même pas imaginer (quoique, depuis quelques années, les mangas se lâchent bien, eux aussi).

Pour la majorité des gens, outre l'image pleine de poésie et de délicatesse qu'ils nous renvoient, les japonais ont aussi une image plus fofolle et déglinguée que malsaine avec leurs émissions de télévision complètement loufoques, leurs inventions douteuses ou leur goûts vestimentaires parfois ahurissants. Enfin, pour moi, c'était le cas. Mais si on y réfléchit bien, le Japon est le pays de toutes les folies. Leur carcan social est parfois tellement pesant que certains ne le supportent pas et, voulant s'en affranchir, s'aventurent dans un monde de rébellion et d'extrême, voire même d'extrême onction...

Et ce côté noir, malheureusement inhérent à toute société dite moderne, l'auteur nous le dépeint de façon crue et nue, portant un regard critique et sans aménité sur sa patrie. Prostitution, inceste, drogue, sadomasochisme, délinquance sont des sujets qu'il évoque dans la plupart de ses romans et ne comptez pas sur lui pour y mettre des filtres, ce n'est pas le genre de la maison ; enfin en grande majorité. Si je ne suis pas fan de ce genre de thème, je n'en renie pas pour autant l'utilité de montrer les aspects sombres de la société pour nous remettre les pieds sur terre, ni que l'auteur a un talent certain pour en parler.

Les déviances, la violence et le trash sont bien présents en ce monde, même s'ils sont parfois bien cachés. La surmodernisation, la volonté d'aller toujours plus loin dans la technologie au détriment de l'humain et la fin des principes de base de la société japonaise l'inquiète énormément. À travers ses livres, il veut tirer la sonnette d'alarme pour ainsi réveiller ses compatriotes avec plus ou moins de succès malheureusement. Mais la fuite en avant n'est-elle pas le problème des pays dits développés ?

Dans la Postface de Miso Soup, montrant sa vision désenchantée du Japon, il déclare, : « La littérature consiste à traduire les cris et les chuchotements de ceux qui suffoquent, privés de mots.  » ou encore « En écrivant ce roman, je me suis senti dans la position de celui qui se voit confier le soin de traiter seul les ordures. Une dégénérescence terrible est en cours, et elle ne contient pas la moindre graine d'épanouissement. J'ai l'impression d'observer des organismes vivants en train de mourir lentement à l'intérieur d'une pièce aseptisée. ». (ed. Picquier trad. Corinne Atlan)

Des œuvres choquantes à quelques exceptions près

Je dois avouer que pour moi, lire ce genre de roman est vraiment difficile et limite choquant ; même pas limite en fait, carrément choquant. Mais en même temps, ne faut-il pas montrer la face cachée du monde enfantin et idéalisé de ce pays aux facettes tellement variées et contradictoires ?

J'ai lu Bleu presque transparent. Histoire d'adolescents japonais qui s’adonnent à tous les excès. Je dois dire que tout au long de ma lecture, les expressions de dégoût et de choc se sont souvent peintes sur mon visage. J'ai eu du mal à finir, mais je me suis fait violence. On sent que sa vie près d'une base américaine a laissé des traces. Je n'ose décrire les scènes, ayant peur de me retrouver censurée pour cause de contenu interdit aux moins de 18 ans... Je dirai juste que l'une d'elle inclut une matière grasse type beurre, mais je n'en dirai pas plus...

J'ai commencé Les bébés de la consigne automatique qui raconte la vie de deux bébés abandonnés et qui ont miraculeusement survécu pour mener une vie torturée, chacun à leur manière, l'un se prostitue, puis devient une star du rock, et l'autre passe de champion de saut à la perche à tueur. Je n'ai pas pu continuer tellement la scène de l'abandon des enfants était choquante à mes yeux. Non, je ne donnerai pas de détails, lisez et vous m'en direz des nouvelles.

Les deux livres que je pourrais qualifier d'OVNIs sont 1969, où il évoque son adolescence d'un point de vue plutôt humoristique, et Kyoko, le seul de ses livres que j'ai littéralement adoré. Ce dernier est le récit du parcours initiatique d'une japonaise partie à la recherche d'un G.I. latino-américain qui lui a appris la salsa, enfant. Durant son voyage, elle rencontre nombre de gens à qui elle redonne espoir grâce à sa personnalité solaire.

Ce roman est beaucoup plus léger et prouve que l'auteur est capable de faire moins noir sans pour autant s'éloigner de sa vision pessimiste du monde : homosexualité, sida et clivages culturels sont traités dans ce livre. Mais, la danse, étant le moteur principal, apporte cette petite touche plus optimiste, je trouve. Les derniers mots de ce roman m'ont juste touchée, transportée, émue. C'est donc avec ce livre que je vous conseillerais de commencer, pour vous familiariser un peu avec le monde de l'auteur. Même si le grand saut suivant risque d'être un peu périlleux malgré tout.

Plus qu'un écrivain, un scénariste, un réalisateur

Murakami a aussi écrit et réalisé quelques films, tous basés sur ses livres : Bleu presque transparent, Raffles Hotel, Because of you (aka Kyoko), etc. Je n'en ai vu qu'un, tiré d'une de ses nouvelles : Topaze aussi intitulé Tokyo Décadence... L'histoire ? Une jeune fille qui semble toute mignonne, toute choupinette et innocente est en fait une call girl spécialisée dans le sadomasochisme... Oui... Oui... Oui... Autant vous dire que ça réveille... Scènes d'urinoir, de fantasme nécrophile et autres réjouissances sont au programme. J'ai eu une sacrée surprise ce jour-là... J'aurais dû mieux regarder l'affiche en fait, elle était pourtant très évocatrice...

Mais le film le plus connu est Audition, scénarisé par l'auteur et réalisé par Takashi Miike. L'histoire d'un homme qui organise une audition fictive pour se retrouver une épouse après la mort de sa femme. Il tombe amoureux d'une belle jeune femme qui cache bien des secrets terribles... En 2000, il a reçu le Prix FIPRESCI ( Fédération Internationale de la Presse Cinématographique ) et le KNF Award (Kring van Nederlandse Filmjournalisten) lors du Festival International du film de Rotterdam. Il a aussi été nommé pour le prix du meilleur film et Mention spéciale lors du festival Fantasporto en 2001.

Ses films sont aussi dérangeants que ses livres, le cocktail cher à son cœur est bel et bien là et nous en met plein les mirettes. C'est bien connu, une image vaut souvent mille mots. Ryû Murakami se sert très bien de l'outil visuel pour nous transmettre ce qu'il souhaite nous faire comprendre : Regardez bien le miroir de notre société, est-elle belle ? Même un être qui semble pur peut voir ses ailes de neige entachées de boue putride. Regardez ce que nous faisons de notre monde, il dévie, se tord et finit par devenir insensé, malsain... Par conséquent, vous devez bien comprendre qu'il ne faut pas les mettre devant tous les yeux sous peine de vous retrouver avec des problèmes à l'arrivée.

Bref, que vous aimiez ou pas son style ainsi que les sujets qu'il aborde, cet auteur ne manquera pas de vous faire réagir et ne vous laissera pas indifférent, que ce soit dans le sens positif ou négatif du terme. À lire ou regarder, donc, mais à ne pas mettre entre toutes les mains. Si vous offrez un de ses livres à votre cousin Firmin, 10 ans, cela pourrait coûter cher à ses parents en psychiatre...

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