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L’arnaque Anime Grand Prix : quand le marketing devient foireux

L’Anime Grand Prix est une récompense attribuée à la série animée de l’année au Japon. Pour le meilleur comme le pire.

L’Anime Grand Prix, c’est avant tout une récompense du magazine Animage qui chez nous trouverait son pendant avec Animeland ; à la différence près que le premier reste avant tout un outil marketing pour les éditeurs et producteurs de séries télévisées au Japon. Là où un magazine habituel traitera de l’actualité sous forme de coup de coeur ou de coup de griffe, Animage est une publicité géante pour les studios d’animation à coup d’interviews, d’articles élogieux, de concours et d’un parti-pris promotionnel qui ferait presque passer le magazine pour quelque chose d’un peu fumeux et pas vraiment objectif.

Pourtant, Animage est un des plus vieux magazines sur l’actualité de l’animation japonaise au Japon. Créé en 1978, son objectif est de favoriser la promotion de l’animation japonaise à une époque où la production prend un tournant de plus en plus commercial. Hayao Miyazaki pré-publiera son manga, Nausicaä de la vallée du vent de 1982 à 1994 dans ce magazine. Cependant, le rythme effréné de la production d’animes pousse le magazine dans une spirale commerciale marquée par la création en 1980 de l’Anime Grand Prix, un concours pour élire le meilleur anime de l’année écoulée.

L’Anime Grand Prix : comment ça fonctionne ?

L’Anime Grand Prix est avant tout une récompense qui se base sur les votes des lecteurs d’Animage. Et on commence déjà par ce qui fâche : les votes ne sont représentatifs que d’une infime partie du public qui regarde des séries animées. À l’instar des sondages qui tentent de représenter une tendance, l’Anime Grand Prix ne représente qu’une orientation très marquée et très succincte, basée sur un système de votes qui ne s’adresse réellement qu’aux lecteurs. On se refusera à dire que le vote est clairement biaisé par son échantillon de votants, mais il est important de comprendre que ce genre de récompense reste représentatif de son propre public et pas d’une intention de globaliser ce dernier.

En France, Les Japan Expo Awards qui décernent chaque année de nombreux prix, dont celui du meilleur anime de l’année. Pourtant, ce vote est déjà un peu plus ouvert que celui d’Animage : il s’adresse à toutes les personnes souhaitant y participer directement via le site Internet de la convention Japan Expo. À l’inverse, celui d’Animage fonctionne sur des coupons-réponse que les lecteurs doivent envoyer au siège de la rédaction. La forme du vote est donc beaucoup plus limitée et s’inscrit dans une volonté de donner la voix à son public plutôt que de s’ouvrir au grand public.

Animage : derrière la découverte, la belle opération marketing

Revenons à Animage. On a présenté le magazine, mais on ne s’est pas attardé sur son mode de fonctionnement. Le magazine existe depuis longtemps et est devenu, au fil des années, une référence de par sa longévité, mais aussi son caractère commercial en faveur de l’animation japonaise. Et c’est là où le bât blesse : les séries élues sont souvent celles dont le magazine a assuré une promotion tout au long de sa diffusion à coup d’articles vantant ses qualités, d’interviews de seiyuu (comédiens de doublage au Japon) et du staff de la série. Autant dire que pendant des mois, les lecteurs ont mangé du marketing de certaines séries. Et quand le moment est venu d’élire sa série préférée, c’est forcément celle qui fut la plus mise en avant dans le magazine et pas forcément celles où les qualités ne sont plus à démontrer.

Certains studios comme Sunrise sont des clients particuliers chez Animage. D’une part parce que ce furent eux, en 1980, qui remportèrent le premier Anime Grand Prix avec la série Mobile Suit Gundam. D’autre part, le studio est un habitué de la promotion au sein du magazine au point de créer une polémique lorsque la série Gundam Seed Destiny remporte deux années de suite le prix. Les enjeux financiers de la saga étant importants, Sunrise a mis les bouchées doubles pour encenser un anime plutôt médiocre.

Du choix critique au choix commercial

Si on fait le bilan des gagnants de l’Anime Grand Prix, on est beaucoup plus souvent interloqués par les votes que d'accord, comme l’élection de K-ON pour la saison 2008-2009 ou de Free! eternal summer pour 2013-2014. On a moins de mal à tergiverser sur les succès des films de Miyazaki, d’Evangelion ou la première série de FullMetal Alchemist pour ce type de récompense. Et c’est là le souci avec l’Anime Grand Prix depuis une dizaine d’années : les choix deviennent principalement des arguments commerciaux de plus en plus difficiles à discuter. Comment, par exemple, encenser une série comme Inazuma Eleven qui pendant 3 années d’affilée, a raflé le prix ?

On suppose que derrière ces choix se tiennent des mesures financières bien précises. Après tout, Animage reste un magazine de presse qui, même s’il fait figure de proue dans le milieu de par son ancienneté, se confronte à une concurrence bien rude. Désormais, il existe autant de magazines pour chaque type de séries qui rendent l’existence d’Animage un peu caduque. Et pour cause, le magazine semble désormais subir la dure loi du marketing en influençant son public de lecteurs vers des choix de séries basées essentiellement sur le fanservice et plus faciles à vendre que des titres réellement novateurs.

Un succès critique et public qui ne se remet pas en question

Si on en vient à critiquer le concept de l’Anime Grand Prix, c’est parce que ce dernier continue de garder son aura de référence pour beaucoup de personnes. Et il est vrai qu’il y a une dizaine d’années, le titre de meilleur anime décerné par l’Anime Grand Prix avait un sens profond, jusqu’à ce que certaines aberrations viennent fissurer le prestige de cette récompense. Après tout, comment justifier des choix purement commerciaux par rapport à des productions moins sexy sur le papier ? Animage ne semble pas avoir eu de remise en question, tenaillé par un consensus financier peut-être trop important pour le magazine.

Ce qui vient étayer ce propos est l’explosion de la production animée depuis une vingtaine d’années. Les choix stratégiques ont pris une place de plus en plus importante dans le processus de production et il est désormais essentiel de produire encore et encore là où les années 70/80 étaient encore soumises à la rediffusion massive de séries pour boucler les programmes. Quelque part, il était plus simple de mettre en avant une série à cette époque qu'aujourd'hui, avec sa cinquantaine de nouveautés par saison, on ne sait désormais plus où donner la tête.

Pourquoi ne pas légitimer les votants ?

Mais vous vous dites, quelle condescendance sur le marché de l’animation japonaise ! Et surtout, quelle façon de traiter les lecteurs du magazine qui sont loin d’être des abrutis finis ? Et pourtant… Les Japonais ne sont malheureusement pas un très bon public. Beaucoup d’oeuvres, considérées comme cultes chez nous, ont fait un four au pays du Soleil Levant. Cowboy Bebop par exemple a obtenu ses lettres de noblesse sur le territoire américain. Par extension, les studios d’animation japonais ont toujours misé sur leur territoire d’origine plutôt que l’export, chose qu’on retrouve également dans le jeu vidéo.

Ce qui amène à expliquer la recrudescence depuis les années 2000 d’animes parfois médiocres placés sous le signe du fanservice et calés pour plaire à un public précis, souvent de niche, prêt à débourser quelques milliers de yens dans une série. Les magazines de presse profitent de cet attrait pour favoriser la vente de leurs numéros et ainsi garantir la pérennité du succès de certains titres dont on oubliera, du moins chez nous, aussitôt l’existence. Tout le monde ne peut pas s’appeler Evangelion ou FullMetal Alchemist. On ne voit pas sortir des perles rares chaque années et qui resteront à jamais dans l’histoire de la japanim.

L’Anime Grand Prix : une représentation du marché de l’animation

Au final, l’Anime Grand Prix est une représentation plutôt réaliste du marché de l’animation japonaise avec des titres phares mis en avant chaque saison et dont le succès, critique et commercial n’est plus à démontrer. En 2012-2013, c’est L’Attaque des titans qui écrasait tout sur son passage et pas seulement au Japon. Le simulcast en France et l’arrivée du manga en ont fait l’un des plus gros blockbusters de son époque.

Du coup, pour l’année 2016-2017, quel sera l’heureux élu ? On pense autant aux blockbusters shônen qui ont fait leur entrée fracassante en France ,One Punch-Man et My Hero Academia, qu’au succès critique de Your Name, le dernier film de Makoto Shinkai dont les recettes ont dépassé Le voyage de Chihiro au Japon. Ou alors, pourquoi pas Yuri on ice! phénomène qui a dépassé les frontières. Une chose est sûre, remporter l’Anime Grand Prix reste une référence pour le public et les éditeurs qui se font une joie de communiquer sur le sujet.

L’Anime Grand Prix continue de garder son prestige mais ne le prenez pas comme une valeur absolue : cela reste des votes issus d’un public ciblé et un magazine qui répond à des logiques commerciales.

1 commentaire

  1. cKei
    Le 28 mai 2017 à 20:35

    Je dirais que peu importe la méthodologie de désignation, réussir à obtenir un palmarès fiable ou à minima égalitaire dans ce genre de prix est illusoire. A moins, peut-être, d'avoir un jury impartial et connaisseur de l'ensemble des oeuvres participantes. Dans le cas où tu demandes son avis à un public large, c'est toujours la même chose : on vote pour le chouchou, soit généralement les plus connus et suivis (puisque s'ils sont suivis c'est qu'on les aime, en général). Éventuellement des communautés plus ou moins impliquées se fédèrent, mais au final le résultat n'a plus grand intéret puisqu'il est issu d'une campagne de com. D'autant plus quand tu mets les réseaux sociaux dans la boucle, dorénavant. Je vais prendre un exemple tout bête, celui du "Best Character Contest" de Gamefaqs qui a lieue régulièrement depuis 2002. Habituellement tu avais Link, Cloud, Mario, éventuellement Samus ou d'autres personnages classiques et bien connus qui gagnaient. En 2013 ou dans ces eaux là, le gagnant a été Draven, un personnage de League of Legend assez peu connu par la population de GF. Pourquoi ? Parce que la communauté LoL Gamefaqs a fédéré les extérieurs, qui ont mis à contribution les réseaux et forums, qui ont voté en masse pour leur petit protégé. Ca a fait pas mal de bruit et à raison puisque ce que tu obtiens n'est plus le résultat d"un concours de popularité sur le site, mais celui d'une campagne électorale extérieure dont le chouchou ne disperse pas les votes. C'est malheureux mais au delà des soucis causés par la ligne édito du magazine et des potentielles retombées pour les primés (ou plutôt l'absence pour les non-primés qui auraient mérité de l'être) ce genre de concours de popularité n'a pas grand intérêt sinon celui de flatter l'égo des fans.

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